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Compagnie Générale Transatlantique

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Le Maritime ne pouvait omettre plus longtemps de traiter l'instigatrice de tant de compagnies. Elle fut la compagnie française universelle pendant plus d'un siècle, et a accouché de tant de filiales, qu'elle n'est pas encore tout à fait morte. Nous allons donc exposer ici l'Histoire de celle sans qui la marine marchande ne serait pas ce qu'elle est aujourd'hui, tout en essayant de ne pas proposer une banale chronologie de faits. L'avant, l'arrière : On largue tout!

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En 2020, soit plus de 45 ans après sa disparition effective, elle se dissimule encore à travers la CMA CGM, Marfret et, jusqu’il y a encore peu, la SNCM. Voici son histoire détaillée et les suites engendrées encore aujourd’hui. La Compagnie Générale Maritime a été créée en 1855 par les frères Pereire, mandatés par l’Etat pour ce genre de grandes réalisations. Totalement reprise par ce dernier en 1861 et nommée Compagnie Générale Transatlantique elle a alors pour but de transporter les individus, les marchandises et le courrier entre la métropole, l’Amérique du Nord, et les territoires français ultra-marins. Elle est en concurrence frontale avec Cunard et la White Star Line, qui tentent de la défier avec des navires rapides et luxueux. Les Anglais, Américains, Italiens... copieront sans jamais l’égaler. La forte croissance des relations fait développer la compagnie à grande vitesse. En 1879, on lance 4 nouveaux navires à vapeur dont l’essor ne faisait que croître, dont le Champagne, pour la ligne de New York. Cela permet une diversification avec les anciens navires pour les Antilles, l’Algérie, et les colonies. Tous les pouvoirs publics furent mis à contribution pour créer la chose, on racheta les concessions postales de l’Atlantique, les Pont et Chaussées travaillèrent ardemment pour créer de grands ports aisés d’accès et les chantiers français, en particulier ceux de St Nazaire, ont enregistré des commandes très nombreuses en navires à vapeur, de matériel de navigation ultra moderne, et de matériel postal. La France croît en l’avenir et l’impérialisme environnant fait de la CGT la compagnie maritime la plus puissante et la plus inventive de son temps. A chaque nouveau fleuron généralement affecté sur la ligne Le Havre-New York, la CGT avait une longueur d’avance sur le luxe, la rapidité, l’adaptation au marché... En 1900, la France était en mesure, aux moyens de récents cargos, d’acheminer des vivres sur toutes ses terres hors métropole, et d’en ramener les denrées. C’était les premiers Bananiers, qui partaient bien souvent de Rouen. Dès 1912, Le paquebot France entérine tous ses contemporains, la France est la première puissance mondiale, et la CGT aussi, forte de 84 navires.

 Pendant la première Guerre mondiale, il n’y eut que peu de pertes matérielles, seulement quelques navires réquisitionnés en navire-hôpital. Mais c’est pendant l’entre-deux guerres que l’essor fut terrible. En 1930 est mis en service le Ville d’Alger, qui fut totalement novateur sur sa ligne Marseille-Alger. Puis ce fut au tour de l’Antilles, du Paris, du De Grasse, de l’île de France, puis enfin de l’iconique et jamais égalé Normandie. Sa décoration Art Déco et sa vitesse faisant filer ses 313m à 32 nœuds lui permettent encore aujourd’hui de le positionner comme le plus beau navire jamais construit.  Puis pendant la seconde guerre mondiale, ce fut l’hécatombe. Le navire fut réquisitionné en 1942 par les US, et immobilisé à New York. Pendant les opérations de transformations en navire militaire, un feu a éclaté et les tonnes d’eau déversées pour l’arrêter firent chavirer le navire. La fin d’une époque... Aujourd’hui encore la thèse de l’acte de jalousie des États-Unis n’est pas écartée. Une fois la guerre gagnée, les US ont pris à l’Allemagne un autre navire, bien moins beau, et l’ont offert à la France : Le Liberté. Il coula au Havre lors d’une tempête en 1946 et fut renfloué, avec le De Grasse, un an après. Pour éviter une redondance un génial saute-vent a été installé dans le port à la suite de cet incident.   En 1948, une importante convention a été signée. Elle réduit le nombre de voyages obligatoires minimum par an sur l’Atlantique Nord à 34, mais augmente ceux sur les Antilles et la Méditerranée, et obtient la concession sur la Corse, reprise à la compagnie de Navigation Fraissinet. Mais déjà, l’aviation est en plein essor et les paquebots et cargos sont supplantés par les moyens et longs courriers. La flotte est réduite.

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  En 1958 le Général De Gaulle arrive au pouvoir. Il clarifie la situation en attribuant l’aviation à l’usager de masse, et oriente la CGT vers plus de faste. Ainsi en 1962 est mis en service le flamboyant France qui, en plus de ses transatlantiques se diversifiera avec des croisières. C’est le premier navire construit en riveté-soudé, ses cheminées et son étonnante modernité (chaudières gasoil) et sa longueur (315m) le rendront éternel. Un an auparavant, le premier ferry au monde a été mis en service, avec un procédé révolutionnaire, la manutention horizontale (chargement par rampes du navire posées à même le quai). L’offre se diversifie avec l’invention de la croisière de tourisme et des tours du monde. Mais ce soubresaut sera de courte durée. En 1969 est mis en service le Concorde. Formidable machine, il achève encore un peu la CGT. En 1948, elle était à une majorité de parts de marché sur l’Atlantique Nord. En 1964 elle n’était que d'environ un quart, alors même que le nouveau Queen Elizabeth 2 de la Cunard n’était pas encore mis en service (seulement en 1967). Sur la Méditerranée de grands changements opèrent aussi. La CGT et la Compagnie de Navigation Mixte (CNM) fusionnent sur les lignes d’Afrique du Nord pour donner naissance à la Compagnie Générale Transméditerranéenne. La CNM était une compagnie privée créée en 1850, sous la tutelle de l'Etat depuis l'après-guerre et partenaire de la CGT depuis le sortir de la seconde guerre mondiale. Cependant depuis la fin de la guerre d’Algérie, le trafic était plus faible, et la CNM était déficitaire (tout comme la compagnie Charles le Borgne qui, expulsée du réseau algérien en 1963 se rabat sur la Corse), elle a donc été absorbée pour ne former qu’un bloc méditerranéen, s’occupant également de la Corse, des Baléares, de l’Italie et de la Tunisie. Mais la vieille dame est moribonde. En 1970 la CGT compte ses navires sur les doigts de la main et la CGTM en arme une quinzaine. Les Messageries Maritimes, compagnie privée sous la tutelle de l'Etat de messageries maritimes et de transport de passagers créée en 1851 sur les lignes longues d'extrême orient notamment, ne s’en sort pas beaucoup mieux non plus. Et, à bout de souffle, Valéry Giscard d’Estaing, fraîchement élu en 1974 et malgré des promesses, réforma complètement la CGT, et les Messageries avec. Il restera dans les mémoires la fameuse mutinerie du France et son transfert au Havre au quai de l’Oubli pendant plus de quatre ans.

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En 1975 il a été acté que la Marine française ne pouvait rester ainsi. La suite s’envisage alors en deux branches : d’une part un trafic en transbordeur à manutention horizontale pour la Corse, dont on met en place une clause de monopole pour 25 ans, ainsi que pour le Maghreb, et d’autre part un trafic de marchandises à manutention verticale sur le reste du globe. La compagnie des Messageries Maritimes arrive à bout de souffle à ce moment-là, elle est reprise par l’Etat pour ses activités cargos. Ainsi est née la Compagnie Générale Maritime (CGM), qui se releva fort bien de la tempête de ces dernières années grâce au nouveau transport multimodal : le conteneur.  Pour la Corse, l’Etat engage la SNCF pour le prolongement de la desserte territoriale, qui récupère les actifs de la CGTM et forme la SNCM. Cette dernière s’allie à la Compagnie Méridionale de Navigation (CMN), qui exploite alors une activité de cabotage entre Marseille et la Corse depuis 1931. Laquelle cherche à se diversifier, elle profite du monopole de pavillon et de la continuité territoriale sur la Corse et essaie un temps une exploitation entre Beyrouth, au Liban et Marseille, sous le nom d’une filiale : la Compagnie Méridionale de Consignation (CMC). Les activités n’étant pas rentables, la filiale est vite fermée, mais l’antenne libanaise, emmenée par la famille Saadé, n’entend pas s’arrêter là et fonde la Compagnie Maritime d’Affrètement (CMA), prenant en charge l’exploitation des cargos de la CMN. 

 Malgré la concurrence de plus en plus féroce, toutes ces compagnies (CGM, SNCM, CMA, CMN) tirent leurs épingles du jeu. La CGM s’allie avec Marseille-Fret (Marfret) pour plus de puissance, et devient une compagnie incontournable dans le domaine du transport conteneurisé, et le groupe s’établit comme il suit : à la CGM les trafics intercontinentaux, à Marfret le cabotage de proximité. Elle met en service des navires toujours plus capacitaires comme en 1991 le CGM Normandie, plus gros porte conteneur du monde de loin (275m), passerelle couverte... unanimement encensé.

 

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De son côté la SNCM inventa littéralement le ferry. Le ferry de jour, pour les lignes courtes Nice-Corse, Italie-Corse et Baléares avec peu de cabines et des grands salons, Le ferry de nuit, plus confortable, le ferry de très grand luxe, comme le Napoléon Bonaparte (1996), le ferry rapide capable d’effectuer une traversée en 2h30 grâce à ses hydrojets et sa coque Aluminium,(NGV Asco, 1996), et le ferry mixte, qui transporte surtout des pièces de fret, et des passagers, dans une moindre mesure, dans de bonnes conditions (1991). C’est ce modèle qui prévaut aujourd’hui. L’ouverture à la concurrence des pavillons étrangers, (les 25 ans énoncés plus haut arrivèrent à leur échéance et la SNCM resta sous pavillon français premier registre) en 1999, fit mourir à petit feu la société nationale (et ses filiales telles que Sudcargos, ViaCorsa, Air Corsica...), qui ne transportait plus que 8% du trafic passagers Continent Corse en 2015, et qui survivait grâce aux subventions de service public toujours partagée avec la CMN. Cela valut des mouvements de grèves totalement invraisemblables tel que le détournement d’un navire quasi neuf en octobre 2005, par des syndicats voulant «rapporter aux Corses ce qu’ils avaient payé». Le navire fut arrêté par le GIGN à l’entrée du port de Bastia le soir même.  La Compagnie ferma en 2016, et naviguait sur un format déjà très réduit depuis quelques années. Depuis, la nouvelle compagnie privée Corsica Linéa née des cendres de la SNCM semble redresser la barre : un record absolu de 1 million de mètres linéaires de fret a été transporté en 2017, et la part en trafic passagers réaugmente. A tel point qu’une commande neuve est envisagée, alors qu’une société régionale devrait être créée pour les lignes de plus petit trafic mais tout autant vitales, comme Marseille-Propriano ou Marseille-Ile Rousse. Elle emploie aujourd’hui 800 employés et huit navires, et la CMN trois navires mixtes et 500 employés.

Du côté de la CGM le rôle de l’Etat devient de moins en moins légitime. En 1996, le verdict tombe, la compagnie va être privatisée à 50,01%. Et celui qui s’en porte acquéreur n’est autre que Jacques Saadé. Il y voit une formidable aubaine pour lui de devenir un géant du transport maritime conteneurisé, cercle vertueux qui pourrait le rapprocher des plus grands. Il fusionne ainsi la CMA et la CGM pour donner naissance finalement en 1999, à la CMA CGM que l’on connaît aujourd’hui. Dès lors, la compagnie ne cesse de s’agrandir, la mondialisation aidant, elle abandonne le tout-pavillon français, au profit du pavillon Bis (le RIF) et des pavillons étrangers, et commande des navires aux chantiers Coréens, Chinois... (Il est vrai qu’il ne reste plus que Saint Nazaire en chantiers français en 2001, absolument pas spécialisés dans le cargo. Les Ateliers et Chantiers du Havre ont fermé en 1999, ceux de Dubigeon-Normandie à Nantes en 1987, ceux de la Ciotat en 66. ) En 2006 de grands groupes tels que Total ou GDF Suez et leur flotte de gaziers et pétroliers deviennent partenaires de CMA CGM. La compagnie devient la deuxième compagnie maritime mondiale en termes de millions de conteneurs transportés en 2015, rang aujourd’hui retombé à troisième. Elle dessert 420 ports sur les 521 mondiaux, possède 450 navires, propose plus de 30000 emplois directs, dispose de plus de vingt filiales et a transporté en 2018 16 millions de conteneurs (équivalent vingt pieds -evp-). En outre elle devrait prendre livraison dans les prochaines semaines des seconds plus gros porte-conteneurs au monde qui plus est propulsés au GNL! Elle arme également des navires de recherche (le Marion Dufrense), des rouliers tels que le Mont Ventoux, a assuré la cogestion des câbliers et rouliers de Louis Dreyfus Armateurs, et a lancé la compagnie de luxe du Ponant dont nous parlerons juste après. En novembre 2017, le fils de Jacques Saadé, Mr Rodolphe Saadé, a pris la suite de la direction, et Mr Jacques s'en est allé l'année suivante. (Voir la page CMA CGM). 

Certes certains fustigeront l'absence de détails plus approfondis, de la compagnie Fraissinet, des Chargeurs Réunis, ou même une profonde histoire des Messageries Maritimes (ça viendra!), mais nous voulions faire connaître l'histoire de notre marine, qui disparaît des mémoires, pour que l'on ne puisse dire que "avant, ben il y avait le France" comme on entend de plus en plus.

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