Les chantiers navals français
Nouveau dossier de la rubrique Histoire ! Aujourd’hui nous nous consacrons non pas à une compagnie ou un navire, mais à la genèse de ces derniers, là où ils commencent tous de bout de tôle pour finir « elle » chez les Anglais. Mais nous resterons en France aujourd’hui puisque nous allons parler d’un triste sujet, celui du déclin des chantiers navals français ces dernières décennies. De 8 chantiers majeurs à la fin des années soixante, nous n’en avons plus qu’un. Mais pourquoi, Diable ?
Nous n’allons pas ici faire un historique complet et exhaustif de chaque chantier, mais comprendre pourquoi ils ont tous décrépité un par un… Evidemment, il y a les raisons liées à l’inadaptation des chantiers aux navires de plus en plus sophistiqués, évidemment il y a les coûts et la concurrence internationale, la spécialisation… Et le plan Davignon, dont nous aurons l’occasion de reparler. Mais dans quelle proportion cela a-t-il fait fermer tel ou tel chantier ?
Dans les années 50, dans une Europe à reconstruire, la demande pour les nouveaux navires n’est pas la priorité, avec une compagnie générale transatlantique, principale compagnie française publique qui regroupe tout ce qui flotte, du paquebot transatlantique au cargo intercontinental, qui est moribonde et qui tente des alliances pour se fortifier, plutôt que de construire des unités neuves. Le premier chantier naval à en faire les frais est celui du Port de Bouc dans l’est camarguais, qui avait été fondé en 1899 par Mr Fraissinet, de la compagnie du même nom pour construire ses propres navires. L’homme à cette époque se hisse contre la tutelle de l’état de nombreuses compagnies maritimes, et, de manière succincte, en fait rapidement les frais. Ainsi dès la fin des années 50 et les Ateliers et Chantiers de Provence de Port de Bouc sont moribonds. En 1966, le dernier navire, un car-ferry, commandé par la Compagnie Générale Transatlantique sort des chantiers sans pouvoir y être achevé. Premier Chantier-Affaire classée.
Ce brave navire inachevé est remorqué aux chantiers de La Ciotat. L’histoire de ces chantiers n’est pas plus heureuse, mais est bien différente qu’une simple faillite déchirante. Ces chantiers sont créés en 1851 pour les Messageries Impériales. A cette époque celles qui deviendront les Messageries Maritimes sont en pleine ascension et développent considérablement leurs lignes en Méditerranée. A l’instar de Fraissinet, ils cherchent à être autonomes sur le plan de la construction jusqu’à l’exploitation. Les MM n’étant pas éternelles le chantier est depuis 1940 privé, et a su anticiper l’explosion de la mondialisation. Les chantiers, sortent d’un espace exigu d’environ 400m entre la cale de lancement et le centre-ville, les plus gros pétroliers l’alors, créant un raz de marée en pleine ville. Mais la crise de 73 puis de 79 passât par-là, ainsi que le plan Davignon. En 1982, l’état intervient en créant la Normed, réunion en une seule entité des chantiers Ciotadens et Dunkerquois. Las, ceci n’eut pas suffi à conserver le chantier, et les Nordistes et Sudistes s’unissaient alors pour leur dernier voyage vers le chômage en 1987. Parlons-en, d’ailleurs, des chantiers Dunkerquois ! Créés en 1899, le chantier est un poumon social dans la région et bénéficie de la sidérurgie très présente dans la région. Si au début du XXe siècle les commandes émanent plutôt de la Marine militaire, les chantiers sont totalement détruits en 1945. Des commandes de pétroliers sont signées, ainsi que de paquebots par l’intermédiaire de la Compagnie Générale Transatlantique, mise à contribution. A la fin des années 50, l’économie dirigée force le chantier à racheter l’outil naval de Bordeaux, mais la fusion de tient pas. Le Chantier est racheté alors par Schneider. Cependant dès 1977 est évoqué le problème de la construction navale française en déclin. Afin d’unir leur forces, l’Etat crée donc la Normed en 1982. Peine perdue, l’interdiction de financement public précipite la fin du chantier Dunkerquois, et l’excellent Train-ferry Nord Pas de Calais pour le compte de la SNCF est le dernier navire à sortir de Dunkerque. La Normed prendra sous son aile en 1982 également les chantiers de La Seyne sur Mer. Ces chantiers créés en 1711 sont plus connus sous le nom de Forges et Chantiers de la Méditerranée. Ils fusionnent en 1966 avec La Ciotat pour devenir la CNIM, Constructions navales et Industrielles de la Méditerranée.
1987, année noire pour la construction navale. Car la Normed n’est pas le seul chantier à disparaître cette année-là. A Nantes la colère monte également. Dubigeon-Normandie est en cessation de paiement dans l’effroi et la révolte la plus totale pour ce chantier vieux de 227 ans. La plus connue des réalisations de ce chantier est sans conteste le Belem, lancé en 1896. Les cales sont situées sur l’île de Nantes rendant les lancements périlleux à cause de la ville en face, à l’instar de La Ciotat. Le chantier fusionne dans les années soixante avec de plus petits, notamment Dieppe et Quevilly, d’où le nouveau nom Dubigeon-Normandie. Au fil des décennies il s’est doté d’un outil de travail relativement perfectionné. Ainsi, il fut le premier à disposer d’une machine à découpe au plasma, et de construction par bloc pour les tout derniers navires. Il faut dire aussi qu’en 1983, le chantier fusionne avec Alsthom Atlantique à St Nazaire. Dubigeon est spécialisé depuis les années soixante dans la construction de Car-Ferries. Pour la SNCM, principal client, la SNCF également, ainsi que le premier réel paquebot-Ferry, le Scandinavia, pour le compte de DFDS. Mais son dernier navire sera le Bougainville, un navire militaire sophistiqué pour des transports sur zone d’essai nucléaires. Cette commande, un dernier souffle inattendu tant les commandes devenaient rares, était en fait un cadeau empoisonné. Le chantier, habitué aux car-ferries, n’était absolument pas préparé à la réalisation d’une telle unité. Avec quelques mois de retard, le navire quittât alors le chantier et avec lui 227 ans de construction navale nantaise.
La Spécialisation, cette fausse bonne idée… Un chantier devient expert dans un domaine de compétences, et chaque chantier devait alors répondre à un besoin du marché. C’était pourtant simple ! Et à chacun son rôle ! Oui mais la concurrence étrangère n’avait pas réellement été prise en compte dans le plan. Alors quoi… que faire pour relancer la construction navale, qui devient si peu compétitive et avec tant d’emplois sur les bras. La surcapacité est un véritable problème. Mais les autres chantiers européens sont dans une situation relativement similaire. Les armateurs publics ne peuvent commander plus de navires et les privés se tournent vers des chantiers étrangers, pour raisons budgétaires ou même de spécialisation. On ne sait par exemple pas construire de réels porte-conteneurs. La Compagnie Générale Transatlantique morcelée en CGM et SNCM n’aide pas non plus les pluies de commandes. Mais, au fond, cela ne veut-il pas dire que les chantiers, soutenus par l’Etat, ne sont dépendant que de compagnies d’Etat ? En quelques sortes si, et c’est là que le plan Davigon sème le coup de massue. Dans un premier temps, il réduit la possibilité des aides à un nombre de chantiers défini. Ce qui explique entre autres la fusion de plusieurs chantiers, pour permettre de conserver un maximum de cales partout en France. Puis dans un second temps, dès 1988, chaque pays Européen n’a le droit qu’à son propre chantier naval d’envergure. Si d’autres pays y sont gagnants, la France perd alors presque tous ses chantiers un par un, se voyant dans l’interdiction de les financer. Reste alors en 1990 les chantiers de l’Atlantique à St Nazaire, et les Ateliers et Chantiers du Havre ACH, et plus pour très longtemps. Le chantier vit encore relativement bien, grâce aux commandes de plus gros voiliers-paquebots du monde, les club med, et les cargos mixtes de la SNCM. Également, un navire ravitailleur des TAAF voit le jour. Mais faute de commandes au milieu des années 90, le chantier voit arriver un ange, un contrat pour plusieurs chimiquiers à haute technologie sensés rapporter gros. Le chantier est pris au piège ne sachant pas du tout construire ce genre de navire, les constructions prennent du retard et les avances financières ne suffisent plus. L’Etat dans l’incapacité d’aider Le Havre voit son dernier chantier privé fermer à l’aube du XXIe siècle. La SNACRP, Société Nouvelle des Ateliers et Chantiers de La Rochelle-La Pallice, fait également fait également faillite en 1987. Créé en 1921 par l’armement Demas-Vieljeux, l’entreprise sera rattachée aux ACH en 1970. Elle construisait pour sa part de nombreux cargos polyvalents, ainsi que quelques rouliers.
Que reste-t-il alors ? Nous n’avons pas encore parlé de St Nazaire, de son histoire richissime de paquebots transatlantiques les plus majestueux au monde, et de sa réussite flamboyante mais fragile. Le chantier avait en effet anticipé le plan Davignon en se diversifiant massivement et en ayant toujours un coup d’avance. Des plus gros pétroliers dans les années 70, on anticipe le retour de la croisière de tourisme dans les années 80, tout en lançant des méthaniers dans les années 90. Oui mais voilà les difficultés financières apparaissent et les méthaniers se retrouvent construits en Chine. Les commandes s’étiolent petit à petit et en 2006 le chantier est racheté par des norvégiens (Aker) puis très vite par les coréens STX, (avec les chantiers de Lorient Leroux et Lotz mais qui, après avoir construit une série de NGV, disparaîtront très vite de la construction de grands navires). L’Etat garde une minorité de blocage, et Alsthom finit par se désengager totalement. Les commandes doivent désormais passer par des appels d’offre, ce qui n’est pas toujours à l’avantage des chantiers. Si STX France essaie de se développer, la crise de 2008 et l’arrêt total des commandes de paquebots devenue le spécialisation européenne de la France accélère le déclin d’STX, et la filiale finlandaise du groupe ne gonfle gère les comptes. Sur fond de concurrence allemande et italienne, STX vend ses participations européennes et en 2017, l’Italien Fincantieri se déclare vainqueur de l’appel d’offres pour la reprise de St Nazaire. Devant l’hégémonie de ce dernier en Europe, ainsi qu’avec l’Allemand Meyer Werft qui dispose des chantiers finlandais, l’état français intervient et renationalise ses chantiers pour ne pas voir s’effondrer un savoir-faire, et les commandes, au profit de Venise… Depuis 2014, le chantier croulait en effet sous les contrats, mais la récente crise Covid et le potentiel déclin de la croisière de masse, en parallèle de la monoculture du paquebot de croisière à St Nazaire, certes générateur de fortes marges, pourrait bien rebattre les cartes dans les prochaines années…
Aujourd’hui, la construction navale européenne de navires de jauge importante se concentre désormais en Norvège, en Finlande, en Allemagne, en Italie et en France, tournée principalement vers les paquebots générateurs de forts profits, nécessitant de nombreux sous-traitants mais générant de fortes marges. Les chantiers de La Ciotat ont également trouvé matière à travailler, au terme d’une lutte sociale extrêmement violente de plus de dix ans. 105 ouvriers ont occupé les lieux et fait face à tout projet de démolition du chantier au profit du tourisme. Car 2 ans après la faillite de la Normed, en 1989, un projet Américain prévoyait la construction de plusieurs pétroliers, sur un site encore en très bon état. Le gouvernement mené par Michel Rocard s’y opposa en accord avec Mr Davignon… une hérésie qui agaça lourdement les « 105 » et qui finiront par obtenir gain de cause. En 1994 le site est annoncé sauvé et en 1999 Monaco Marine rachète le site et, construction et réparation de yachts de luxe, légions dans la région, reprirent. La partie était alors gagnée… Aujourd’hui florissante, l’activité devrait avoir de beaux jours devant elle. Par ailleurs à Nantes, les anciennes cales de lancement devinrent des lieux de divertissement, où les automates amusent petits et grands tous les étés. A la Seyne, la friche est encore debout et l’on peut l’apercevoir, ainsi que l’entée encore flanquée des Forges. A Port de Bouc, au Havre et à La Rochelle, les chantiers ou définitivement laissé leur place au port environnant, et il est très difficile, mais pas impossible, de s’y repérer. Les associations d’anciens des chantiers y existent encore d’ailleurs, véritables témoins du passé.