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Reportage : Les DSP

A l'occasion de l'attribution pour six ans de la DSP maritime Corse-Continent dont tout le monde parle, c'est l'occasion pour Le Maritime de revenir en profondeur sur ce qu'est une délégation de service public, et de présenter les différents systèmes existants. 

En effet, il n'y a pas que cette région qui dispose de ce mode de transport, mais bien la majorité des zones géographiques difficiles d'accès au 1er abord, et un peu isolées.

Pour commencer il est bon de rappeler précisément ce qu'est une DSP. En effet, la notion est peut-être connue du grand public mais pas ses subtilités. Une DSP, c'est un service d'intérêt national exercé par une entité privée ou partiellement privée. Dans le but de répondre au mieux à l'attente d'un secteur, c'est ici le service qui impose ses critères aux entreprises et non l'inverse, rendant plus difficile à résoudre l'équation de la rentabilité. Une compagnie qui obtient ladite est donc subventionnée pour pouvoir compenser les pertes d'exploitation qui pourraient en découler, ainsi que les travaux d'adaptation que doit entreprendre l'entreprise. 

Les DSP sont réparties en trois entités : celle régissant les transports est dénommée régie intéressée, à opposer à la concession, où c'est l'usager seul qui rémunère l'entreprise qui remporte le marché en concession et l'affermage, où le délégataire reverse une compensation à la collectivité lui attribuant le marché. La régie intéressée, que l'on retrouve aussi bien dans l'attribution de réseaux urbains, que aériens ou maritimes, répond alors aux principe de l'égalité de traitement des usagers, de l'adaptabilité ( la DSP n'est jamais très longue car elle s'adapte continuellement aux besoins de ses usagers), et de continuité, en ne devant pas altérer le service.

 

Un peu d'histoire à présent. Ce mode d'attribution de marché ne date en effet pas d'hier. Il prend forme à la Renaissance, où le contractant pouvait pleinement disposer du marché attribuant, en échange de ses financements propres. Si jusque dans les années 30 la délégation pouvait être attribuée par exemple à un seul homme qui effectuait un travail pour la collectivité, puis rapidement  aux sociétés d'économie mixte. 

Passons la rébarbative période législative d'entrée dans le droit européen de 1992 et du traité de Maastricht, en France c'est la loi Sapin de 1996 qui définit la DSP telle qu'évoquée aujourd'hui.

Ce mode de fonctionnement est assez vrai dans toute l'Europe, et les différents pays du continent ont recours à ce principe pour leur différentes régions.

A cela on doit bien sûr ajouter la notion d'OSP. Une obligation de service public est imposée par une collectivité à une entité qui décide d'exploiter une liaison -dans notre cas maritime-, et qui se voit contrainte de répondre à différents critères pour avoir le droit d'exploitation. Chez nous, si la DSP couvre actuellement les lignes Marseille-Corse, il y a par exemple des OSP sur des compagnies communautaires qui décideraient d'exploiter une ligne au départ de Toulon ou Nice vers la Corse. 

Ici le terme communautaire est assez important. En Europe, et ce depuis 1993 (effectif en réalité depuis 1999), la libre prestation des services de transport maritime à l'intérieur d'un État membre (cabotage maritime) s'applique aux armateurs communautaires exploitant des navires immatriculés dans un État membre et battant pavillon de cet État membre, sous réserve que ces navires remplissent toutes les conditions requises pour être admis au cabotage dans cet État membre. Cela est aussi valable pour le Royaume Uni et les pays d'Afrique du Nord, considérés par ces dispositions comme européens. Cela implique un pavillon français 1er registre pour la France qui ne peut y aligner son RIF considéré comme extra-communautaire du fait de ses avantages fiscaux. Mais nous y reviendrons plus tard.

Le règlement  ( CEE) N° 3577/92 DU CONSEIL du 7 décembre 1992 émanant du traité de Maastricht est extrêmement intéressant à ce sujet.

 

Destination Gotland et Tirrenia, deux compagnies délégataires dans leur pays respectifs, Suède et Italie. Brittany Ferries a quant à lui reçu de quoi maintenir un service de qualité pour les anglais affaiblis par le Brexit.

En Europe il existe de nombreuses DSP. Pour ne citer que les DSP maritimes, on trouve Ecosse>Shetland, Suède>Gotland, Italie>Sardaigne, Espagne>Canaries, Espagne>Ceuta, Espagne>Melilla. En France, on trouve des DSP attribuées à la Penn-Ar-Bed/Keolis pour Sein, Ouessant et Molène, la Compagnie Océane/Transdev pour Groix, Belle-île-en-mer, Houat et Hoëdic, et Corsica Linea et la Compagnie Méridionale de Navigation pour Marseille-Corse. On peut évoquer également le cas des subventions britanniques accordées à l'armateur français Brittany Ferries, pour anticiper la baisse du trafic liée au Brexit et conserver un niveau de desserte identique. 

Zoom sur Penn Ar Bed et Compagnie Océane, un exemple de service public européen. 

La desserte risquée des populations insulaires de l'extrême ouest finistérien rend le trajet aléatoire et risqué qui plus est. C'est alors que le département décidât de reprendre l'exploitation des îles. 

Si en 1968, profitant de l'absence de lois encore établies sur la continuité territoriale, une compagnie privée s'installe de manière éphémère avec un navire rapide reliant Le Conquet et Ouessant en vingt minutes, la société maritime départementale poursuit le développement de son outil naval, avec en point d'orgue le lancement du Fromveur, un cargo-mixte tout-temps de 365 passagers et 42 mètres de long. 

Si en 1993 l'ouverture à la concurrence est possible pour tout opérateur d'un pavillon communautaire, la compagnie publique est vendue à Keolis, et se voit concurrencée par la nouvelle Finist'mer. De part ses navires adaptés aux service, sa grande flexibilité et sa connaissance experte du marché, c'est alors sans grande surprise que la nouvelle Penn Ar Bed se voit attribuée la DSP. En plus de ses récents cargos mixtes, la Penn Ar Bed prend livraison de son nouveau fleuron en 2011 le Fromveur II, remplaçant l'ancien, et construit intégralement en France à Concarneau.

Finist'mer affrète même un navire de sa flotte à la Penn Ar Bed en été pour accroître le service public. En 2017, c'est la région Bretagne qui reprend la gestion des îles sous l'entité Breizh&Go, et réattribue une DSP pour 3 ans à la Penn Ar Bed. En 2021 une nouvelle DSP attribuée à Penn Ar Bed est votée. Pour mieux appréhender les exigences d'une telle délégation voici le cahier des charges que les compagnies candidatant doivent répondre : Harmonisation des tarifs entre les îles du Finistère et du Morbihan ; Suppression des marques Penn ar Bed et Compagnie Océane au profit de la marque BreizhGo ;Refonte des sites internet et applications mobiles ; Déploiement du support billettique KorriGo pour les insulaires et clients abonnés dès 2024 ; Mise en place d’un tarif jeune 18-25 ans (environ 20% de réduction) et du tarif BreizhGo Solidaire (70% de réduction) ; Maintien du tarif pour les professionnels de santé équivalant aux tarifs insulaires.
> Pour la Penn Ar Bed elle-même : dessertes supplémentaires le mercredi, sur la ligne nord, et le vendredi, sur la ligne sud ; développement du Bet (+ 8%) : transport de mtériaux en vrac, refonte du navire de charges Molenez ; sous-traitance sur Sein, via le voilier de TOWT ; maintien des 7 guichets en gare maritime (4 sur le continent, 3 sur les îles) et des distributeurs de billets automatiques au Conquet et Audierne ; nouveaux services à bord et en gare : wifi, prises électriques, livres et jeux... ; gratuité pour les grands-parents insulaires transportant leurs petits-enfants en période scolaire. nouveau service d’accompagnement des mineurs ; Pass moussaillon : gratuité pour l’enfant revenant en famille sur une île visitée en voyage scolaire ; tarif Molène-Ouessant à 1€/AR pour les insulaires ; mise en place d’un Pass 2 îles comprenant 2 A/R sur les dessertes du réseau BreizhGo ; tarifs de transports de déchets réduits de 50% (prise en compte suppression redevance déchets) ; réduction de 30% des émissions GES sur les 7 ans, avec pénalités si l’engagement n’est pas atteint.

 

Le Maritime vous propose ainsi et en exclusivité la visite de ce navire abandonné quelque part en Seine depuis 2012, qui devait faire l'objet de plusieurs rénovations visant à en faire un bar lounge à Boulogne-Billancourt. Cette visite fut réalisée en décembre 2020 par l'équipe du Maritime, sans aucune détérioration ni vol. Nous pouvons y voir le navire démonté partiellement et en cours de transformations. Les moteurs seraient entreposés à Gennevilliers et intacts, alors que l'aspect structurel semblait encore bon, bien que des signes de vandalisme soient visibles. Le navire est aujourd'hui inaccessible.

Du côté de la compagnie Océane, c'est une histoire pleine de rebondissements que nous pouvons vous conter. On détaillera dans les archives plus précisément l'Histoire de cette grosse structure, là n'est pas le but aujourd'hui, mais on peut noter que la compagnie nationale de navigation créée par Mr Fraissinet (dont on reparlera également et à qui la marine française doit beaucoup) en 1879 est répartie en trois filiales : La Maritime Nantaise, la Héli-Union (hélicoptères), et la Société d'Armement de l'Ouest, qui chapote 6 compagnies : la compagnie Corsaire, Navix, la compagnie vendéenne, croisières inter-îles, et la Société Morbihannaise de Navigation. 

C'est cette Société Morbihannaise de Navigation qui nous intéresse. Elle est délégataire de la DSP des îles du Morbihan depuis l'ouverture à la concurrence depuis 1992, mais perd la précieuse concession en 2008. La région propriétaire des navires les frètent alors à la nouvelle Compagnie Océane, filiale de Véolia créée pur l'occasion, et la SMN se retrouve sans navires à exploiter. Elle aligne alors un nouveau navire sur Belle-Ile, 2e plus gros trafic de passagers après la Corse, grâce aux dispositions de la loi de 1992 évoquée plus tôt. Cependant, malgré cela, elle se replie sur le trafic de la rade de Brest et abandonne rapidement ses ex-liaisons, attaquant même en justice la nouvelle compagnie Océane. Las, celle-ci ne cesse de se développer, empiétant même sur les platebandes de la Navix. A titre d'exemple, la réattribution de la DSP en 2022 à la Compagnie Océane prévoit ceci : 

nouvelle desserte de Sauzon en juillet-août et sur les ponts d’avril-mai-juin ;

quota de places pour les véhicules des insulaires de Belle-Île, matin et soir, au Palais et à Quiberon ;

transport sanitaire pour Groix ;

maintien de la centrale d’appels à Belle-Île : le numéro surtaxé est remplacé par un numéro au coût d’un appel local 

amélioration de la gestion des appels et des réponses aux usagers sur une interface digitale ;

maintien à 1€ des tarifs vélos électriques insulaires ;

mise en place d’une remorque de 20 places pour charger et embarquer simultanément les vélos ;

services proposés aux usagers PMR en gare et à bord : personnel référent, voiturette, port bagage, mise aux normes guichets à Lorient et Le Palais ;

refonte de la tarification des marchandises pour optimiser les chargements des navires ;

mise en place d’un bilan carbone dès 2023 ;

construction et financement d’un navire mixte (type Melvan) au cours du contrat.

En Europe maintenant prenons le cas de Destination Gotland. Il s'agit d'une entreprise créée en 1998 pour se spécialiser dans la desserte de Gotland, dont l'actionnaire est 100% suédois. Il est à noter que les navires sont construits en Chine, et répondent à des critères de dimension et de capacité en accord avec la géographie du pays. Contre un montant d'environ 50 M€ annuels, la compagnie qui possède en pleine propriété ses navires et exploite les rouliers purs propriétés de la région Gotland, doit effectuer cinq rotations par semaine, au départ de Nynäshamn ou Oskarshamn vers Visby. Les nouveaux navires livrés ces 5 dernières années sont une évolution des anciens mais propulsés au GNL, permettant d'inscrire cette petite île dans une réelle dynamique environnementale.

 

Plus au Sud la Grèce propose un système de fonctionnement assez particulier et propre à sa géographie composée de multiples îles disparates. Sur plus de 350 lignes intérieures, il y en a 85 de subventionnées, et 250 sont en concurrence. Pour financer ces lignes, l'Etat taxe à environ 3% les traversées subventionnées et réinjecte cela dans le fonctionnement des lignes moins rentables pour rééquilibrer le fonctionnement de chacune. Le montant global s'élève à environ 80 millions.

Nel Lines eut l'hégémonie des petites lignes grecques jusqu'en 2015 alors que Blue Star était subventionné pour la Crête. Destination Gotland devient peu à peu Hansa Gotland en 2022.

Enfin, attardons nous à notre marché intérieur. Le projet de continuité territoriale est assez ancien mais couché sur papier à l'occasion de la convention de 1976. Là, les grandes lignes sont éditées et la le trafic maritime se base alors sur le trafic ferroviaire en reprenant sa tarification au kilomètre et ses catégories commerciales. La priorité est donnée à un opérateur unique pour le transport de passagers et de deux opérateurs pour le transport de marchandises. Des modifications en 1987 verront la modification des navires de transport de marchandises devoir s'adapter à celui des passagers pour un service accru en hiver, le 2e opérateur devant à son tour transporteur de passagers. L'opération publique est privilégiée, partant du principe que seul le public peut prétendre à l'intérêt commun salutaire pour la desserte d'une région, l'opposant aux intérêts particuliers du privé. La compagnie n'est qu'un prolongement du gouvernement et peut alors se consacrer pleinement aux objectifs fournis par ce dernier. Ceci fait de ce modèle une spécificité totalement française. Comme pour la région Bretagne en 2017 évoqué plus haut, la décentralisation amène en 1982 un changement de responsabilité de l'édition des OSP, passant de l'Etat à la région Corse. 

Les autorités publiques ont alors choisi de manière arbitraire les OSP que devaient satisfaire les deux compagnies choisies. Le choix du monopole est motivé par la baisse des coûts que cela représente de ne doter qu'une flotte de tout ce dont elle a besoin pour effectuer un service de qualité. Autre motif, le caractère saisonnier du trafic. Il faut être capable de proposer un service suffisant en été et d'accepter un sureffectif naval et humain le reste de l'année. Dernier motif, l'aspect tarifaire pour les  usagers. Un surcoût des lignes les plus rentables permet une compensation sur les lignes exploitées les plus faibles mais néanmoins vitales. Ce schéma est valable saisonnièrement, où l'été finance l'hiver.

La convention de 1976 courant sur trente ans et la dérèglementation prévue dès 1992 pour prendre effet en 1999, prévoit alors l'ouverture à la concurrence d'autres compagnies du pavillon communautaire. Cela d'interdit en rien une DSP comme prévue par la loi Sapin, et permet alors de procéder à un appel aux candidatures à partir de 2002. Bruxelles laissait alors le choix d'imposer des OSP aux protagonistes, ou de déléguer le service public à une ou plusieurs compagnies particulières. C'est la 2e option qui retenue par la France. La DSP 2002-2007 et plus encore 2007-2013 provoquera alors plus tard un procès de la part des compagnies non délégataires, que Bruxelles accordera, présentant une DSP trop proche à son goût d'un favoritisme et d'un étouffement de la concurrence plutôt que d'un véritable service public, avec notamment la subvention de car-ferries en été sur des liaisons supplémentaires, ce que les concurrents peuvent tout à fait réaliser et ce qui relève plus du transport d'agrément touristique que du service public destiné à développé une région. On laissera nos lecteurs juges de ce fait sans prendre partie. Il apparaît alors que la continuité territoriale est très bénéfique pour la Corse (création du port moderne d'île Rousse, rénovation de celui de Bastia, transport de passagers sur Porto Vecchio … mais engendre un coût public gigantesque. 

Depuis 2016, et l'arrivée à la tête de la compagnie délégataire d'un groupement privé d'entrepreneurs corses de nombreuses DSP transitoires furent essayées, avec des OSP testées tous les ans. Une compagnie régionale fut un temps évoquée, sans pour autant voir le jour. Aujourd'hui à force de DSP de raccordement, nous venons de découvrir les termes de la DSP s'étendant pour au moins 6 ans, permettant aux usagers, aux compagnies et aux autorités, de pouvoir entreprendre une vision et un plan d'action un peu plus long-termiste. 

Plusieurs décennies de monopole et de claire séparation passager/fret pour la Corse se terminant par une dissolution simple de ce schéma français.

Les DSP sont indissociables des ferries, car la raison d'être d'un ferry est bien souvent de servir un territoire sur une courte distance inaccessible par un autre moyen. De nombreuses DSP nous entourent, sans que nous nous rendions vraiment compte, mais permettent à chacun de rester connecté au reste du monde. Nous nous ne sommes pas attardés aux DSP des autres continents avec des systèmes législatifs bien différents (traversiers du Québec publics, etc...), ni à toutes celles existantes en Europe (Ecosse, Italie, etc...), l'objectif étant d'avoir une meilleure compréhension globale de ce qu'est une DSP et une OSP. 

Corsica Linea est aujourd'hui l'acteur quasi exclusif de la DSP Marseille-Corse.

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